![Festival maintenant Interview Gaetan Nael]()
Quatre ans d’existence pour le festival Maintenant - anciennement « Electroni (K) », du nom de l’association qui en est à l’origine - et déjà une grande maturité. Un évènement qui soutient la diversité et s’apprécie sur la durée. La manifestation voyait également cette année la pérennisation des journées Demain, seconde édition de rencontres pros et amateurs, occasion d’échange, de découverte et de débat, mettant en valeur la création et le R&D en amont de la diffusion.
D’une durée peu commune dans le champ des manifestations dédiées aux formes artistiques innovantes, le festival Maintenant se déroulait du 07 au 16 octobre dernier à Rennes et dans sa région. Ouvert à des approches créatives extrêmement diversifiées (high tech et low tech, analogique et numérique) ainsi qu’à des propositions multiples (expositions, concerts, performances, conférences, workshop et ateliers) Maintenant est un festival qui gagne en personnalité, d’année en année. Il est important de souligner la singularité d’un évènement dédié à la création, surtout en ces temps de prolifération festivalière. Issu d’une volonté forte, celle de montrer la création dans tous ses états, sans tomber dans le piège de l’innovation telle que l’entendent les pouvoirs publics, mais sans non plus évacuer les questions scientifiques et économiques, Maintenant abordait cette entrée dans l’automne avec sérénité. Entretien avec Gaétan Nael, président de l’association Electroni(K).
Gaétan, avant d'entamer notre discussion sur les journées Demain, dont c'était la deuxième édition, veux-tu dresser un petit bilan du festival Maintenant dont elles sont issues ?
GaétanNael : Je ne suis pas un grand amateur de bilan, et encore moins à chaud. Ce que je pourrais te dire, en oubliant l’incontournable commentaire sur la fréquentation, c’est qu’avec Maintenant, nous sommes sur des propositions étalées sur tout un territoire, et pas seulement la ville de Rennes. C’est donc 25 sites, de nombreux artistes et un peu plus de 30'000 personnes par édition. Il est important aussi de noter que l’édition à trois prolongements dans l’année : deux expositions se prolongent déjà. C’est Reverse of Volume de Yasuaki Onishi, jusqu’au 30 octobre au Champs Libres et De choses et d’autres de Samuel St-Aubin, jusqu’au 3 décembre au Grand Cordel.
Yasuaki Onishi: reverse of volume (RG)
D’autre part on est aussi sur un prolongement du festival à l’échelle du département qui s’appelle Mouvement, au sein duquel il y a un certain nombre de projets que l’on veut mener dans le cadre de Maintenant, ou en parallèle. Concrètement, on part sur des évènements sur le département, en relation avec des bibliothèques et des médiathèques, où l’on va sensibiliser, montrer des projets, amener de la discussion, de l’échange, autour de la question du numérique au sens large. Cela passe autant par un atelier autour de la tablette, autour de la conception de jeu vidéo, que de la démonstration et du jeu. Pour les plus geeks d’entre nous, cela peut paraître relever du niveau un, mais j’ai toujours tendance à dire que pour accéder au niveau deux, il faut passer par le niveau un. Nous ne sommes pas tous à égalité en matière d’usage et de technologie. On sera aussi sur des concerts au casque, des ateliers, et des temps de présentation. Cela représente cinquante journées d’interventions sur près de 19 villes.
Vous avez réussi une belle édition, et pourtant, ça n’est pas faute d’avoir dû surmonter quelques épreuves…
G.N. : Concernant le festival et son organisation proprement dite, l’enjeu cette année a été notre capacité à rebondir après l’annonce, dix jours avant le festival, de l’indisponibilité de notre quartier général, un lieu centralisé où le public comme les professionnels pouvaient se retrouver, autour d’œuvres exposées mais aussi de soirées (les fameuses Ambiances électroniques, NDR). Nous avons donc dû trouver très vite un nouveau lieu. Pendant très longtemps nous évitions le principe de centralité sur le festival. Nous étions davantage sur la question de la déambulation et du parcours dans la ville, à 100% assumé. Mais il y a 4 ou 5 ans, nous nous sommes rendus compte que la présence professionnelle, qui venait pour se rencontrer entre elle et pour rencontrer les artistes, avait besoin d’un point de chute.
![Rennes festival Maintenant quartier général]()
Quartier général du festival Maintenant 2016 au Théâtre du Vieux Saint-Étienne
La ville de Rennes est très fournie en lieu de restauration divers et variés, bars, restaurants et autres lieux de convivialité, mais il manquait cet espace qui rassemble, qui fédère, sur des temps qu’on choisit ou sur des temps informels. Avoir ce lieu, l’aménager et qu’il vive, à l’image de ce qu’est Maintenant - c’est à dire que l’on puisse y faire des ateliers, qu’on puisse mélanger les publics, enfants, parents, grands-parents, adulte ou jeune adulte - est devenu un enjeu important. Du coup, pour nous c’est une vraie réussite d’avoir réussi à trouver un nouveau lieu. Les gens ont aimé être là à un moment donné.
L’aspect parcours, circulation, n’a pour autant pas été abandonné… et les propositions, à l’image des lieux, sont très variées. Tout comme leur interprétation.
Ce que je voudrais que l’on retienne, c’est que sur Maintenant, il y a toujours une double lecture. Il y a des choses numériques très sophistiquées, parfois très compliquées, et des choses plus sensibles et poétiques, pas forcément high-tech. On peut aussi bien avoir des lapins géants et lumineux installés dans l’espace public, à première vue c’est juste fun, mais si l’on y prête attention, il y a aussi le propos de l’artiste : « pourquoi ces lapins et pourquoi ces lapins envahissent nos villes ?» On peut avoir une œuvre comme Reverse of Volume de Yasuaki Onishi, où il n’y a pas un ordinateur, pas un Arduino, il n’y a que de la colle au pistolet et de la bâche, et pourtant, c’est inouï, c’est magique. Et puis il y a des temps défoulement, de partage autour de la musique avec des Nuits et des Ambiances électroniques. On arrive finalement à faire se côtoyer tout ça, et que les gens créent eux-mêmes leur parcours, leur circulation. Ces deux aspects sont importants.
Le festival se penche sur de nombreuses formes d'innovations liées aux pratiques artistiques contemporaines, pour autant "le numérique" en tant qu'esthétique n'est pas central à Maintenant, je me trompe ?
Non, c’est bien ça, même si c’est dans l’idée de se différencier des autres et que c’est sans doute inconscient. Par contre, ce que l’on veut dire, c’est que pour nous le numérique ce sont avant tout des médias qui permettent aux artistes d’aller au bout de leurs envies de matérialiser un certain nombre de choses. Que l’on utilise un médium numérique ou qu’on utilise un marteau, ça ne doit faire que servir un propos ou une intention. Depuis le début du festival, nous sommes sur ce curseur là. Ce qui n’est pas toujours facile à appréhender et à comprendre. Finalement, l’innovation c’est avant tout tenter des choses. Je suis très très fan, depuis longtemps, des œuvres de Theo Jansen. Typiquement ce sont des œuvres qui me fascinent et ce, d’autant plus qu’il y a plusieurs manières de les appréhender. Je me rappelle de sa présentation à La Cité des Sciences il y a deux ans ou trois ans. J’étais passé avec mes deux enfants, et il fallait des cobayes. Mon petit garçon de huit ans a été l’un d’eux. Son appareil marche parce que quelqu’un le pousse ou parce que le vent le met en mouvement ! C’est du low tech. C’est possible, et c’est possible sans électricité ! Quand ils se déplacent sur les plages de Hollande, ses sculptures se déplacent toutes seules. Typiquement nous voulons nous inscrire dans cette logique là. Quand j’interviens dans des Master, on me dit que je suis dans le rejet du numérique, dans quelque chose qui s’apparente plus à un souci de la biodiversité ou des mouvements écologistes qui disent « le numérique, il faut le mettre au placard, le wifi c’est la mort ». Mais ça n’est pas mon discours. Ce que je dis, c’est que le numérique fait juste parti des outils qu’un artiste a à sa disposition et rien de plus.
A ce titre, un des moments fort de la manifestation était la Nuit Papier 2.0. Un temps de rencontre qui voyait des artistes et des amateurs travailler autour du papier augmenté, connecté, interactif... Peux-tu nous en parler ?
En 2009/2010, on a un peu réorganisé l’association Electroni (K). Nous avons décidé d’analyser notre démarche afin d’arriver à mieux cerner ce qui nous tenait à cœur et à mieux fonctionner. On s’est rendus compte que l’on avait balayé beaucoup de thèmes en dix ans, beaucoup de concepts. Des fois en étant très conscients et des fois avec toute la naïveté des première fois. Nous nous sommes dit : « essayons vraiment de résonner, de mieux dire, d’arriver un peu à thématiser ». Cela s’est traduit par la Nuit Art Science que l’on a mise en place sur un campus universitaire de science. C’est un peu comme tous les concepts et les idées, c’est quelque chose qui doit vivre et évoluer. Il y a un an et demi nous étions arrivés au bout du concept.
![Nuit Papier 2.0]()
Pour cette Nuit Papier, nous avons travaillé avec Bérengère Amiot. Elle est vraiment un atout dans l’équipe parce qu’elle est designeuse, or nous tournions autour de la question du papier depuis des années, et cela l’intéressait vraiment. On avait fait de l’origami avec Joanie Lemercier, nous avions connecté le papier pour l’animer, nous étions sur des projets avec Etienne Cliquet en 2006 ou 2007, etc. Nous sommes partis d’une thématique « papier », parce que finalement ça balayait un certain nombre de choses chez nous. Nous nous sommes dit « si l’on convie des personnes des designers, des chercheurs, des ingénieurs et des étudiants, comment va-t-on pouvoir collectivement essayer d’imaginer de nouvelles pratiques, de nouvelles formes. Et c’est ce qui s’est passé avec ces journées de workshop qui ont finit par aboutir à une présentation, la Nuit Papier 2.0.
Les musiques actuelles sont également très présentes à Maintenant...
Pendant longtemps, les gens ont réduit Maintenantà sa dimension musicale. Nous, notre but est de montrer différentes approches à travers la pratique musicale. Nous voudrions montrer aux gens que finalement, l’électronique ça ne veut rien dire. Vous écoutez du violoncelle et pourtant, il y a un traitement électronique (Julia Kent, NDR), Nous présentons des choses qui sont de l’ordre du spectacle, mais ce sont aussi des espaces de respiration. Des espaces qui peuvent également être des moments de réflexion pour d’autres. Il y a très peu d’artistes qui ne sont pas dans une posture de recherche, même le DJ. A Maintenant, c’est vrai, on va préférer le DJ qui va fouiller, chercher les bons morceaux et analyser comment ils interagissent entre eux, et quel outil utiliser pour que cela passe mieux. Sur la question de la musique actuelle nous faisons aussi très attention à la dimension high tech, low tech. Sur cette question entre l’acoustique et le numérique. Les antagonismes, les ressemblances. C’est quelque chose que l’on accentuera encore l’an prochain, je pense. Nous avons envie de montrer des artistes qui font dialoguer les disciplines et les techniques entre elles, et qui réfléchissent.
Cette année était aussi l'occasion de proposer à nouveau les journées Demain, un moment consacré au thème de l'innovation et à ses nombreuses applications dans la création artistique. C'était la deuxième édition. Peux-tu développer sur cette initiative ?
L’idée est venue quand on a présenté Atom, de Robert Henke & Christopher Bauder. Robert Henkeétait artiste en résidence cette année là et nous lui avions proposé d’imaginer une présentation de son univers. Il devait présenter au moins quatre projets dont deux à trois créations. Dans la discussion, il nous a dit qu’il serait intéressant que son développeur Christopher Bauder, intervienne, parce qu’il était aussi important dans le processus de création. Nous avons donc fait venir Bauder dans un lieu qui n’existe plus, la cantine numérique. Il y a eu une rencontre avec le public, et on a pris conscience de plein de choses. De fait, que derrière une performance comme Atom, il y avait un vrai savoir faire, une vraie exigence, un travail de développement très important, et porter ce travail devant le public était vraiment intéressant. Ça nous a vraiment donné à réfléchir. Nous nous sommes dit que l’on devait réussir à formaliser quelque chose qui serait de l’ordre de l’échange.
Nous avons étudié cette approche avec Raphaël Suire qui est enseignant à l’université de science économique. Nous avons mené un travail avec des étudiants de science économique, mais aussi des beaux-arts, des arts appliqués, des BTS et des ingénieurs. Ensemble, nous avons travaillé à l’élaboration d’un parcours de rencontres d’artistes. Des artistes invités au festival et à qui nous avons posé des questions sur leurs pratiques, mais aussi, sur leurs modèles économiques. On a décidé de formaliser ce temps, pas comme un simple « à côté », mais de le faire pendant le festival, en créant des thématiques, en invitant des gens de l’extérieur, et en s’appuyant sur les artistes qui interviennent sur le festival pour densifier l’ensemble et le propos. Nous sommes arrivés à la formule de cette année, dont je suis pleinement satisfait. Il y a eu un peu plus de 300 personnes sur chaque journée. Les gens répondent présents, ils restent, ils prennent des notes…
![Journées demain festival maintenant]()
Par qui ces journées sont-elles suivies ? Professionnels, amateurs ?
Des étudiants mais pas seulement. Il y avait des gens du département, des gens plutôt issus du milieu des start up et des entreprises, des gens liés au monde de l’éducation (au sens large), et puis des étudiants de différentes sections, des collectifs, des studios numériques et des professionnels de l’action culturelle ou des musiques actuelles. Nous avions des niveaux de compétences très différents, complémentaires aussi. Ce que j’ai apprécié. Cela permettait l’échange. C’était la plus value. Une notion que l’on a essayé d’apporter avec des workshop à côté, pour que les gens de différents niveaux et différents milieux se sentent à l’aise, qu’il n’y ait pas ceux « qui savent » et qui ont « le droit de savoir » et ceux qui doivent suivre.
Ce genre d’initiatives pourraient se pérenniser à d’autres occasions dans l’année ?
On va y réfléchir, on reste quand même sur un festival de taille moyenne avec une économie qui n’est pas toujours évidente à tenir. Le temps du festival nous permet aussi d’avoir des présences d’artistes, et nous sommes contents d’avoir des artistes que les gens puissent voir sur des présentations, tout en pouvant les entendre ou échanger avec eux sur d’autres temps. Parce que ça n’est pas la même manière d’appréhender la création. Entre quelqu’un qui développe un produit sur le mode start up, qui veut le commercialiser, et un enseignant universitaire très qualifié ou un chercheur de l’IRCAM, il y a un monde, et même des mondes. Ce sont des positions différentes. C’est ce qui m’intéresse, je crois que la société est faite comme ça. Les gens se côtoient, il y a une zone de dialogue et de frottement qui se crée, et je pense que c’est important, pour l’instant, que cela soit durant le temps du festival.
Propos recueillis par Maxence Grugier
Crédit photo : Gwendal Le Flem
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