Exposition cinétique déconstruisant l’espace, workshops participatifs sans œillères et performance live AV incandescente, l’édition 2016 du Mapping Festival genevois a encore fait la démonstration d’un esprit défricheur rafraîchissant.
A bien regarder les participants de l’atelier « Spatialisation sonore dans des environnements immersifs de réalité virtuelle » gesticuler avec leur capteurs Kinect et leur casque Oculus Rift sur la tête au beau milieu du rez-de-chaussée de l’espace d’art contemporain du BAC - Le Commun de Genève, centre névralgique du Mapping Festival, on devine l’importance des questions du son et du mouvement dans cette édition 2016.
Si les habituels workshops du rendez-vous numérique genevois brassaient encore large cette année, aux côtés des multiples conférences et masterclasses, dans le sillage des nouvelles technologies créatives (initiation à la navigation dans le deep web, stratégies de contrôles de système multimédia complexes, construction de robots mobiles à l’aide d’un kit robotique et de micro-servomoteurs, production de vidéos et d’animation graphiques – en compagnie des allemands de Pfadfinderei tout de même !), cet axe cinétique était particulièrement de mise, à l’image d’ailleurs de l’affiche du festival et de son lettrage très évocateur, avec ses caractères triplés et enchevêtrés les uns dans les autres, dans un exercice de floutage syntaxique sautant aux yeux.
Les distorsions visuelles de Kimchi & Chips
Pour avoir confirmation de la référence évidente à ce courant majeur de l’art optique, basé sur la modification des formes ou de la perception d’un dispositif en fonction du déplacement physique de la pièce en question ou de la mobilité du spectateur la visualisant, il suffisait de monter à l’étage pour visiter la partie exposition du festival.
Event Horizon, Lawrence et Vincent Malstaf
Cette importance du phénomène de perception était ainsi de mise dans la pièce environnementale Event Horizon des Belges Lawrence et Vincent Malstaf, où des particules de poussière apparaissaient en suspension dans un rayon de lumière balayant l’espace sombre et dont le public observait les circonvolutions muni d’un masque à gaz (dispensable). Et elle se révélait encore plus dans la pièce Kineptosia du duo Kimchi & Chips.
Kineptosia,Kimchi & Chips
Basé à Séoul, ce studio de création composé du Britannique Elliot Woods et de la Sud-Coréenne Mimi Son se plaît à confronter différentes formes de mécanismes et de paradigmes artistiques. En l’occurrence, Kineptosia propose une étonnante visualisation de la rencontre entre le mobile et l’immobile, à travers un tableau graphique allongé et statique sur lequel se déplace lentement un système mécanisé de lentilles en forme de tubes, créant à la fois une distorsion visuelle surprenante et une expression de mouvement troublante incontestablement cinétique – quelle dommage juste que la pièce ait été présenté horizontalement et non pas verticalement, ce qui aurait permis d’amplifier l’effet de perspective visuelle.
Les décompositions sonores de Martin Messier
Autre élément essentiel, le son s’intégrait avec une véritable force motrice dans les autres pièces de l’exposition. Sculpture cinétique par excellence, avec ces quinze cases ouvrant le regard à des effets alternatifs de balayage lumineux dans la profondeur permis par un système de matrices lumineuses et de miroirs, le Pii de l’Espagnol Néstor Lizalde s’appuyait également sur un système de capteurs créant une interaction son et lumière avec le public.
Pii, Néstor Lizalde
Se basant sur un même principe d’évolution perceptive, mais invitant cette fois le public à intégrer directement l’espace de diffusion – en l’occurrence une boîte fermée aux murs/miroirs réfléchissant sur lesquels étaient projetées différentes boucles visuelles hypnotiques – le Infinity Room de l’Américain Refik Anadol liait expérimentation visuelle et expérience sensorielle dans une même combinaison architecturale qui renvoyait pour beaucoup au travail de déstabilisation optique d’une Yayoi Kusama. Un jeu de déconstruction de l’espace qui mériterait cependant un peu plus de transgression pour être totalement abouti.
Infinity Room - [TIEE] from Refik Anadol
Dans cet exercice de décomposition, le meilleur était à chercher du côté de l’impressionnant dispositif Boîte Noire de Martin Messier (voir portrait). L’artiste québécois s’y intéresse à la mise en son et en mouvement d’un faisceau lumineux passant dans un grand prisme aux parois transparentes dont les données se matérialisent en trois dimensions.
Boïte Noire, Martin Messier
Hormis l’efficacité de la retransposition en temps réel des datas du spectre lumineux, on est littéralement bluffé par la matérialisation de ses contractions amples et fluides, de ces courbes et tracés surgissant et disparaissant dans un ballet fantomatique prenant vie derrière la scène vitrée. Un spectacle hypnotisant, renvoyant autant à l’ambition esthétique du festival qu’à sa nature même, croisant avec une accessibilité déconcertante nouvelles technologies et pratiques bricodées plus DIY/lo-fi.
Nous Sommes les Fils et les Filles de l’Électricité, Projet EVA
Expérimentations live audiovisuelles
A ce propos, les autres rendez-vous au programme entretenaient pour beaucoup la même fièvre créative bouillonnante. Au cinéma expérimental Spoutnik, les Montréalais de Projet Eva avaient ainsi posé leurs valises et les caméras-masques de leur performance de manipulation psychologique participative Nous Sommes les Fils et les Filles de l’Électricité (NSFFDE).
PROJET EVA - Nous sommes les fils et les filles de l'électricité from stereolux
En épilogue du festival, le même lieu accueillait de manière bon enfant la séance d’expérimentation live electronics et filmique du Goûter Merveilleux : un show un brin libertaire où l’on a notamment pu se régaler de l’excellent live ambient analogique de Pylone, bâti sur un montage d’images tiré des classiques Blow Up et Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni – dont il faut rappeler que les musiques originales étaient déjà signées Herbie Hancock et Pink Floyd.
Cette dimension live instantanée - encore perceptible en mode dancefloor festif dans la salle voisine du Zoo de L’Usine pour des nuits électro/dub et technoïdes où se sont notamment illustrées Shackleton, Deadbeat, Jerôme Soudan/Mimetic et surtout le duo allemand Orphx du label Hands - trouvaient une dimension AV particulièrement forte lors de la soirée spéciale concoctée au Théâtre de L’Alhambra.
Outre la performance réussie du Seismik d’Herman Kolgen (lire portrait), modélisation toujours aussi impressionnante et frontale de sources géo-sismiques captées en temps réel et traduites dans des formats audiovisuels tout aussi disloqués et imprévisibles, on a pu y découvrir la nouvelle création Nøtel de l’artiste multimédia allemand Lawrence Lek et du pionnier dubstep britannique Kode 9. Evoluant dans un décor minimaliste, évoquant la rencontre entre le graphisme de Second Life et d’un moteur de jeu vidéo cheap, débarrassé de toute forme d’avatar – seuls les écrans disséminés dans cet hôtel mort offraient un semblant de présence humaine – Nøtel se présente sous la forme d’un parcours déambulatoire où l’on suit un drone dans des décors figés.
Trailer for The Nøtel: Third Ear Transmission feat. The Spaceape - Kode9 x Lawrence Lek
Pas spécialement excitant mais suffisamment neutre pour ne pas corrompre l’excellente bande-son de Kode 9, entre UK funk, techno orientalisée et volutes vocales passées à la moulinette footwork.
A ce titre, la bonne surprise de la soirée se révéla la courte mais incandescente performance du duo néerlandais Gerd-Jan Prins et Martijn van Boven dont le Black Smoking Mirror a littéralement mis le feu à l’écran à partir de la manipulation d’un laser sur une surface de projection inflammable.
Black Smoking Mirror, Gerd-Jan Prins et Martijn van Boven
Une expérience radicale, tant dans le champ sonore hautement industriel et fréquentiel exploité que dans son final symboliquement nihiliste et défricheur. Et un excellent résumé de l’esprit frondeur du Mapping Festival.
Laurent Catala
Photos: mappingfestival.tumblr.com
Mapping Festival 2016
du 28 avril au 8 mai
Genève
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